Schémas d’AVC de la dissection de l’artère carotide interne chez 40 patients

La dissection de l’artère carotide interne (DAI) est une cause de plus en plus reconnue d’AVC qui représente jusqu’à 20 % des AVC ischémiques chez les jeunes adultes12. Selon un point de vue commun, la DAIC entraîne un infarctus cérébral embolique plutôt qu’hémodynamique.3 Cependant, des enquêtes systématiques sur le mécanisme sous-jacent de l’ischémie cérébrale ont rarement été réalisées.45 Le mécanisme présumé de l’AVC peut être approché en déterminant le schéma de l’AVC chez les patients atteints de DAIC. Deux études antérieures45 ont donné des résultats contradictoires : l’une a suggéré un compromis hémodynamique important dans les DAIC,4 et l’autre a suggéré un mécanisme embolique important.5 Il est utile de déterminer si la plupart des DAIC conduisent à une ischémie cérébrale à cause d’une embolie d’artère à artère ou à cause d’une défaillance hémodynamique, car cela peut influencer l’approche thérapeutique : l’héparine peut être plus appropriée dans le premier mécanisme mais n’est probablement pas efficace dans le second, et elle pourrait même conduire à une augmentation de l’hématome mural. En raison du faible taux de récidive de l’ischémie cérébrale chez les patients présentant une dissection de l’artère carotide (DAC), un essai de médicament reste difficile.6 Par conséquent, l’approche thérapeutique doit être basée sur le mécanisme présumé de l’ischémie cérébrale chez les patients présentant une DAC. L’une des approches possibles consiste à déterminer les caractéristiques des accidents vasculaires cérébraux dans les cas de coronaropathie. L’objectif de cette étude était de déterminer les caractéristiques des accidents vasculaires cérébraux chez des patients consécutifs atteints de coronaropathie. L’utilisation d’autres approches, telles que l’échographie, dépassait le cadre de cette étude.

Sujets et méthodes

L’étude a été menée de manière rétrospective chez 40 patients consécutifs admis dans 2 unités d’AVC pour une DAI avérée responsable d’un AVC ischémique. La DAI était définie par la mise en évidence angiographique d’un signe de cordon, d’une double lumière ou de lambeaux intimaux, ou par une occlusion associée à un hématome mural à l’IRM cervicale. Les données suivantes ont été recueillies de manière prospective l’âge (en années), le sexe et la présence d’une hypertension artérielle (définie par une pression artérielle systolique >150 mm Hg ou une pression artérielle diastolique >90 mm Hg ou un traitement actuel par des médicaments antihypertenseurs), diabète sucré (défini par un taux de glycémie à jeun répété >1.4 g/L ou utilisation actuelle de médicaments antidiabétiques), dyslipémie (définie par un taux sérique de triglycérides à jeun >1,5 g/L ou un taux sérique de cholestérol à jeun >2.5 g/L ou traitement en cours), tabagisme actuel, migraine selon les critères de l’International Headache Society7, traumatisme cervical récent banal ou évident, et symptomatologie initiale. Ces 40 patients ont subi soit 2 tomodensitométries, soit 1 tomodensitométrie (à l’admission) et 1 IRM montrant la présence d’un hématome mural (n=22) au stade aigu (au cours de la première semaine) ; une angiographie (n=40) a été réalisée au début de la première semaine et à nouveau 3 mois plus tard (n=33). C’était la méthode acceptée pour gérer les patients atteints de coronaropathie dans nos centres avant que l’angiographie par résonance magnétique ne devienne une procédure de routine. Les artères carotides et vertébrales ont été étudiées lors de chaque procédure angiographique. Les tomodensitogrammes, les IRM et les angiographies ont été analysés séparément par deux observateurs. En cas de divergence entre les observateurs, une lecture consensuelle a été utilisée. Les observateurs étaient aveugles aux données cliniques. Ils ont déterminé si les lésions suivantes étaient présentes : infarctus corticaux (tout infarctus impliquant le cortex ou la surface cérébelleuse) ; infarctus sous-corticaux (tout infarctus impliquant les ganglions de la base, le thalamus, la capsule interne ou le centrum ovale et épargnant la surface corticale), divisés en 2 sous-groupes (ceux ≥15 mm et ceux <15 mm) ; et infarctus de jonction et de ligne de partage des eaux (tout infarctus situé entre 2 territoires artériels). Cette classification a été réalisée à l’aide de cartes des territoires vasculaires8 et conformément aux concepts étiologiques.910 Les infarctus corticaux et sous-corticaux dans le territoire de multiples artères lenticulostriées ont été considérés comme emboliques, tandis que les infarctus situés entre le territoire de l’artère cérébrale moyenne (ACM) et celui de l’artère cérébrale antérieure ou entre le territoire de l’ACM et celui de l’artère cérébrale postérieure ont été considérés comme des infarctus hémodynamiques. Les résultats angiographiques ont été définis comme une occlusion, une sténose, une double lumière et un pseudo-anévrisme, selon les critères précédemment rapportés11. La dysplasie était définie par un aspect tortueux et des redondances de >1 artère cervicale sur l’angiographie cérébrale.

Résultats

La population étudiée était composée de 26 femmes et 14 hommes, âgés de 18 à 61 ans (âge moyen, 42,8 ans ; IC 95 %, 39,2 à 46,3). Les patients présentaient un total de 45 dissections de l’ACI (26 à droite, 19 à gauche). Cinq patients avaient des dissections bilatérales de l’ACI ; sur ces 5 patients, 2 avaient une dissection bilatérale de l’ACI avec une dissection unilatérale de l’artère vertébrale, et 1 avait une dissection à la fois de l’ACI et de l’artère vertébrale.

Sept patients ne présentaient aucun facteur de risque vasculaire (tableau 1). Sept patients avaient des antécédents de migraine préexistante selon les critères de l’International Headache Society7, dont 3 avec aura ophtalmique. Un traumatisme cervical récent (soit banal, comme le fait de porter un lourd fardeau, de danser ou de peindre un plafond, soit évident, comme des manœuvres chiropratiques ou un accident de voiture) a été constaté chez 12 patients. La DAIC était associée à des céphalées chez 8 patients, à des douleurs cervicales chez 3, et à la fois à des céphalées et à des douleurs cervicales chez 6 patients. Huit patients présentaient un syndrome de Horner (2 isolés, 3 avec des douleurs cervicales, et 3 avec des céphalées). Nous avons trouvé 24 sténoses (12 à droite, 12 à gauche), avec 20 signes de cordes et 21 occlusions (14 à droite, 7 à gauche) à la phase aiguë. Onze patients présentaient une dysplasie, et 9 avaient un pseudo-anévrisme sur l’ICA (6 sur l’ICA droite et 3 sur la gauche). Une seconde angiographie réalisée 3 mois plus tard chez 33 patients a montré la persistance de la même anomalie chez 9, une réouverture partielle chez 2 et une récupération angiographique complète chez 22.

Les patients présentaient au total 65 infarctus (tableau 2). Tous étaient des infarctus récents, à l’exception d’un patient, qui présentait un infarctus récent dans l’hémisphère gauche en raison d’une dissection de l’artère carotide occluse gauche et un infarctus ancien du côté droit, sans signe de dissection ancienne de l’artère carotide ou de dysplasie. Tous les infarctus étaient situés dans le territoire de l’artère carotide disséquée, sauf pour le patient précédent. Nous avons trouvé 34 infarctus hémisphériques corticaux, 25 infarctus sous-corticaux >15 mm, 1 infarctus sous-cortical <15 mm, et 5 infarctus jonctionnels ou de bassin versant. Les 5 infarctus de jonction ou de ligne de partage des eaux étaient isolés, et 3 des 5 étaient associés à une artère carotide occluse homolatérale. Il n’y avait pas de différences dans la répartition des accidents vasculaires cérébraux en fonction de la caractéristique angiographique sténosante ou occlusive (32 grands infarctus corticaux ou sous-corticaux chez les patients avec occlusion et 28 chez ceux avec sténose ; 3 infarctus de jonction ou de bassin versant chez les patients avec occlusion et 2 chez ceux avec sténose), sauf pour les infarctus multiples. Nous avons trouvé 13 patients présentant des infarctus multiples. Les patients présentant des infarctus multiples avaient principalement des occlusions (9 patients) plutôt que des sténoses (4 patients). Par conséquent, les infarctus corticaux et sous-corticaux représentaient 92,2 % de tous les infarctus, tandis que les infarctus jonctionnels ne représentaient que 7,7 %.

Discussion

Notre étude a montré que la plupart des infarctus liés à la DAIC sont des infarctus corticaux ou de grands infarctus sous-corticaux. Les données épidémiologiques et cliniques sont similaires à celles de la littérature611 sauf pour le sex-ratio. Nous avons trouvé une forte prédominance de femmes (65%). Ce résultat pourrait également expliquer pourquoi nous avons trouvé 11 aspects de dysplasie (27,5%) lors de l’angiographie initiale. Selon la conception actuelle de la relation entre le mécanisme de l’infarctus et les caractéristiques de l’accident vasculaire cérébral, les infarctus corticaux ou sous-corticaux sont plus susceptibles d’être d’origine embolique,101213 alors que les infarctus jonctionnels ou de la ligne de partage des eaux sont plus susceptibles d’être d’origine hémodynamique.9 En utilisant cette simplification, nous avons constaté que seulement 7,7% des patients atteints de coronaropathie avaient une ischémie cérébrale hémodynamique présumée, alors que 92,2% avaient un infarctus embolique présumé. Cependant, même si cette simplification permet une approche facile des mécanismes présumés de l’ischémie cérébrale chez la plupart des patients, il faut garder à l’esprit qu’au niveau individuel, les infarctus jonctionnels sont parfois associés à un possible mécanisme embolique.14 Par conséquent, nous avons probablement surestimé le taux d’infarctus hémodynamiques dans notre étude. Malgré cette surestimation, le nombre de patients présentant des infarctus hémodynamiques présumés est extrêmement faible (7,7 %). Notre étude soutient donc l’hypothèse selon laquelle la plupart des infarctus dans les DAIC sont d’origine embolique. D’autre part, les 2 mécanismes physiopathologiques sont probablement liés. En effet, on peut facilement imaginer que dans la première étape d’un DAIC, le mécanisme hémodynamique est proéminent lors de la constitution de l’hématome de paroi, alors que le mécanisme embolique est proéminent après cette phase. Nous avons constaté que les patients présentant une occlusion avaient principalement des infarctus multiples, ce qui suggère également un mécanisme embolique. Cependant, il est difficile de tirer une conclusion concernant ce résultat, car la dissection de l’artère carotide est un processus dynamique à la phase aiguë et certaines occlusions peuvent revenir à la sténose très rapidement. Dans l’étude de Weiller et al,4 les auteurs ont rapporté une fréquence similaire d’infarctus emboliques et hémodynamiques, mais leur population d’étude ne comprenait que 11 patients. Nous sommes parvenus à la même conclusion que Steinke et al,5 qui ont montré que 37 des 67 patients (55%) présentant une dissection de l’ACI avaient des infarctus cérébraux, dont des infarctus de l’artère territoriale MCA de taille variable dans 60% des cas ; de grands infarctus latérostriés étaient présents dans 11% des cas, et un mécanisme hémodynamique présumé n’a été trouvé que dans 16% des infarctus. La formation d’un thrombus dans l’artère disséquée avec une embolie distale secondaire est le mécanisme le plus probable de l’infarctus cérébral dans les cas de coronaropathie. La mise en évidence d’une embolie distale est rare en raison de l’utilisation généralisée de l’héparine à la phase aiguë de l’AVC ischémique, en particulier chez les jeunes patients, et des limites de l’angiographie. Dans l’étude de Steinke et al,5 l’autopsie d’un patient décédé d’un infarctus de l’ACM a fourni des arguments en faveur d’un mécanisme embolique : toutes les grosses branches de l’ACM étaient occluses par un thrombus récent provenant d’une déchirure intimale à 4 cm distalement de la bifurcation carotidienne droite. Cette étude suggère donc une origine embolique proéminente chez les patients atteints de DAI et d’accident vasculaire cérébral ischémique.

Demande de réimpression à : Christian Lucas, MD, Clinique Neurologique, Service de Neurologie vasculaire, Hôpital Roger Salengro, CHRU de Lille, 59037 Lille Cedex, France.

1Chercheurs cliniques : D. Leys, MD ; F. Mounier-Vehier, MD ; C. Daems, MD ; O. Godefroy, MD, PhD ; H. Hénon, MD ; D. Guerouaou, MD ; T. Stojkovic (Département de neurologie, Université de Lille) ; L. Rumbach, MD (Département de neurologie, Université de Besançon). Investigateurs en neuroradiologie : J.P. Pruvo, MD ; X. Leclerc, MD ; G. Soto Ares, MD (Département de neuroradiologie, Université de Lille) ; F. Cattin, MD ; J.F. Bonneville, MD (Département de neuroradiologie, Université de Besançon).

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Tableau 1. Données épidémiologiques dans la population étudiée de 40 patients présentant une dissection de l’artère carotide interne

Données épidémiologiques N=40 (%)
Hommes/femmes 14/26
Hypertension artérielle 11 (27.5)
Diabète sucré 1 (2,5) Dyslipidémie 9 (22.5) Fumeur de cigarettes 14 (35) Migraine 7 (17.5) Migraine avec aura ophtalmique 3 (7.5)
Aucun facteur de risque vasculaire 17 (42.5)
Traumatisme cervical récent 12 (30)

Tableau 2. Modèles d’AVC de 65 infarctus dans 40 dissections de l’artère carotide interne avec des mécanismes présumés d’ischémie cérébrale selon les concepts étiologiques. Concepts

65 infarctus (%) Occlusion (n=21) Sténose (n=24) Mécanisme présumé
Corticale (territoire de l’ACM) 34 (52.3) 21 13 Embolique
Grand striatocapsulaire 25 (38.4) 11 14 Embolique
Sous-corticale (<15 mm en dehors de la zone de jonction interne) 1 (1.5) 0 1 Embolique
Zone de jonction interne/bassin versant 5 (7.7) 3 2 Hémodynamique

Cette étude a été soutenue par l’Association pour la recherche et l’enseignement en pathologie neurovasculaire (APREPAN).

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