Vous dites ‘nuculaire,’ Je dis ‘nucléaire’

Peu de lignes divisent les locuteurs de manière aussi catégorique que celle qui sépare les prononciations « noo-clee-ur » et « nucular » pour nucléaire. Pour ceux qui connaissent l’orthographe du mot, la prononciation nuculaire est comme des doigts qui grattent un tableau noir. Le président américain Dwight Eisenhower l’a utilisée dans les années 1950, et le président George W. Bush en a offert un exemple plus récent lors du débat des candidats du 30 septembre à Coral Gables, en Floride. « Si vous espérez faire partie de la communauté internationale », a-t-il dit à propos de la Corée du Nord et de l’Iran, « débarrassez-vous de vos programmes nuculaires. »

Certains défendent la prononciation comme une variation régionale, dans la même veine que l’utilisation dans le sud des États-Unis de nother pour other, comme dans « That’s a whole nother thing ». D’autres disent que nucléaire est tout simplement trop difficile à prononcer correctement. Comme le souligne Geoffrey Nunberg, linguiste à l’université de Stanford, dans son récent ouvrage Going Nucular : Language, Politics and Culture in Confrontational Times, est que nucléaire est phonétiquement similaire à « likelier », et que « personne ne dit jamais : « Le premier résultat était plus probable que le second » ». « La théorie de Nunberg est que certaines personnes, par ailleurs éduquées, choisissent de dire « nucular » parce que cela sonne folklorique ou, plus inquiétant, parce qu’elles sont en position d’autorité et osent que les autres les corrigent. Il suggère que s’ils parlent d’armes nuculaires et de familles nuculaires, vous pouvez mettre cela sur le compte d’une affectation occasionnelle, mais s’ils parlent de familles nucléaires et réservent nuculaire pour les armes, « c’est probablement un peu d’arrogance empruntée au Pentagone. »

La récente mention dans cette chronique des termes bataillés nez de pape et nez de pasteur pour désigner la queue vestigiale grasse d’une dinde cuite (ou d’une autre volaille) a fait apparaître un autre prétendant. Dans son livre Casselmania (1996), l’amateur de mots et chroniqueur canadien Bill Casselman note qu’un troisième mot pour désigner cette protubérance est « nez de diacre », ce qui élargit le catalogue des insultes religieuses utilisées depuis longtemps par les personnes qui s’attablent devant un repas copieux. Je n’ai pas encore entendu parler du « nez du vicaire », peut-être parce que le vicaire s’est déjà vu attribuer l’expression « œuf du vicaire », tirée d’une ancienne caricature du magazine Punch. Un vicaire en visite, soucieux de ne pas s’offusquer lorsqu’on lui présentait à la table d’un paroissien un œuf pourri, permettait qu’il soit « bon, en partie ».

Casselman propose comme alternative non religieuse un mot technique issu de l’ornithologie : uropygium, du grec ouropygion, qui signifie queue-croupe-let, petite queue-croupe.

« Une glande uropygiale s’ouvre dorsalement à la base des plumes de la queue sur l’uropygion et sécrète une huile utilisée par l’oiseau pour se lisser les plumes », explique-t-il. « L’oiseau transfère l’huile de cette glande à son bec, puis enduit et imperméabilise chaque plume selon les besoins. »

Il est peut-être inutile, et peu judicieux, d’explorer ces détails à table, mais avancer le mot uropygium lors de la prochaine volaille peut impressionner ses voisins de table.

Il y a aussi la petite coïncidence que l’uropygium d’une dinde commence par le son « Europe » et que la Turquie est un pays situé au moins en partie en Europe. Encore une fois, ce n’est peut-être pas un point judicieux à soulever avec vos amis turcs.

Casselman observe que le nez du pape figure dans le premier chapitre de A Portrait of the Artist as a Young Man de James Joyce. Joyce écrit que le père de Stephen Dedalus « a pris racine avec les sculpteurs au bout du plat et a dit : « Il y a un morceau savoureux ici que nous appelons le nez du pape. Si une dame ou un monsieur… .’ Il tenait un morceau de volaille sur la fourchette du sculpteur. Personne ne parle. » Finalement, quelqu’un le fit. « ‘Il ne peut y avoir ni chance ni grâce, dit Dante, dans une maison où l’on ne respecte pas les pasteurs de l’église.’  » Tout était fini, sauf les larmes et les portes qui claquent. Au moins, la dispute n’est pas devenue nuculaire.

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